j'aimerais être un mouton, histoire de pouvoir me tondre une fois l'été arrivé - ft. Corbeau [terminé]

Quelle bonne idée de grimper là-haut et de ne plus savoir comment redescendre, songea amèrement Commodor, ses yeux rivés en contrebas des falaises qu'il s'était donné pour but de franchir. De là ou il se trouvait, il pouvait voir les reflets délicieusement turquoises du lac des castors, là ou il pourrait se baigner et boire tout son soûl. Sauf que ça ne risquait pas d'arriver vu la façon dont ses coussinets saignaient sur les pointes des rochers sur lesquels il gardait difficilement l'équilibre. La prochaine fois qu'il entreprendrait un plan de ce genre, il s'assurerait d'avoir quelqu'un à ses cotés pour l'en empêcher. Sa langue rose et sèche pendait hors de sa gueule, et il était obligé de se lécher les babines toutes les cinq minutes pour hydrater de sa bile sa gorge. Et encore, quand il avait suffisamment de bile pour le faire.

Il essaya de changer de position, laissant un glapissement surpris et douloureux lui échapper lorsque des rochers éraflèrent sa cuisse, arrachant quelques poils au passage. Plus de peur que de mal, soupira-t-il de soulagement, en constatant qu'il n'était pas blessé. Ce serait vraiment le comble, les rapaces qui planaient au-dessus de sa tête n'auraient plus qu'à attendre un prochain faux-pas de sa part pour venir faire un festin de ce qu'il resterait de sa carcasse. Ennuyé et franchement frustré, le noiraud se décida pour un saut risqué sur une plateforme plus bas, qui était plate. Ses pattes dérapèrent, mais heureusement pour lui, ses griffes lui servirent d'appui. Un peu plus et il passait par-dessus bord, et à cette hauteur, il se noierait directement. Au moins, il aurait de l'eau à s'en faire exploser la panse, et les poumons par la même occasion.

Alors qu'il regardait autour de lui pour voir s'il n'y avait pas moyen de descendre, une odeur musquée s’infiltra dans ses narines, lui causant de plisser sa truffe sèche. Un autre loup était dans les parages. Curieux, il chercha un moment son congénère, avant de le trouver sur une autre plate-forme plus bas, allongé. Concerné par l'état de l'étranger, Commodor se rapprocha du bord de sa propre plate-forme. Le ventre de l'animal se soulevait encore, il était en vie. C'était déjà bien, mais s'il ne se dépêchait pas de faire quelque chose, ce dernier n'en avait plus pour très longtemps. « Ex-Excusez-moi ! Est-ce que vous m'entendez ? » s'écria-t-il, s'y reprenant à deux fois pour s'exprimer clairement, sa voix mourant au fond de sa gorge aussi sèche qu'un désert. Ils allaient y passer à deux, visiblement.

Corbeau n'en pouvais plus, il faisait trop chaud. En réalité, cette chaleur aurait été supportable pour un loup basique mais elle avait bien trop de fourrure pour pouvoir supporter, même les fines brises qui circulaient de temps à autre ne suffisaient pas. Et que fichait-elle ici? Pourquoi avait-elle eu la merveilleuse idée de grimper par-là? Au départ, elle trouvait cela amusant de prendre de la hauteur, voir de se reposer dans l'une des grottes. Mais voyez-vous, deux Carcajous n'avaient pas été du même avis et la louve noire qui avait été viré comme une malpropre. Et comme ce n'était absolument pas son genre de se battre - elle n'était pas vraiment douée pour les combats - elle avait préféré déguerpir. Sauf que c'était étroit et les Carcajous la forçaient pratiquement à sauter. Elle l'avait donc fait, retombant sur une plateforme incroyablement lisse et plate, elle manqua de glisser et finit par devoir bondir sur une autre plateforme à côté. Elle avait entendu les ricanements mauvais des bestioles inconnues - elle n'avait aucune idée de ce qu'était un Carcajou - et ces efforts l'avaient fait transpirer. Elle n'en pouvait plus, sans parler de l'eau plus bas qui s'écoulait, la narguant. Une torture. Et comment redescendre? Elle n'en savait rien, elle allait certainement crever ici. Corbeau avait donc résolu que son destin était certainement de crever ici, sur cette plateforme sous le soleil. La demoiselle aux yeux dorés s'était alors couché sur la plateforme, fermant ses yeux, haletante, le souffle brûlant et la gorge sèche. Au final, elle allait mourir tôt et n'aurait jamais l'occasion de fuir d'ici et retrouver sa meute loin de là. Elle y était résolut, elle crèverait ici et c'était tout.

Une sale journée, terriblement. Corbeau soupira, fermant complètement ses yeux à cause de sa vue qui se brouillait. Il aurait suffit qu'elle aille se baigner, qu'elle se désaltère, qu'elle se repose près de l'eau avant de filer vers le nord sans demander son reste. Mais non, elle refusait de faire plus d'efforts. Une odeur fut amenée par une brise légère qui la rafraîchit à peine mais elle reconnut sans souci une odeur de loup. Un loup? Ici? Que venait-il donc faire? Tandis qu'elle s'apprêtait à ignorer fermement le canidé, une voix s'éleva. ❝ Ex-Excusez-moi ! Est-ce que vous m'entendez ? ❞ Corbeau ouvrit un œil, soupirant. Qu'est-ce qu'il voulait celui-là? Il ne voyait pas qu'elle essayait de mourir ou quoi? La louve finit par rouler sur elle-même, relevant sa tête et déposant ses orbes dorées sur le loup qui se tenait plus haut, l'air tout aussi crevé qu'elle. Un autre qui avait réussit à se coincer ici? Il était aussi noir qu'elle et possédait également des yeux couleur or. Corbeau eu une légère moue qui découvrit ses crocs un instant, son bout de langue sortant entre ses canines avant qu'elle ne s'exprime. ❝ Oui, oui, je ne suis pas encore morte mais ça risque d'être pour bientôt. Merci de vous intéresser à mon cas. ❞ Déclara la louve avant de sourire légèrement, restant couchée.

Elle avait parlé complètement décontractée malgré sa voix légèrement cassée à cause de la soif qui lui écorchait la gorge. Certainement risquait-il de la trouver étrange mais cela ne lui faisait ni chaud ni froid. Il allait certainement passer son chemin, il ne semblait pas non plus bien alors pourquoi s'embêterait-il à l'aider? ❝ Faites gaffe aux grosses bestioles des grottes. Elles sont hargneuses, et puis bonne chance pour atteindre l'eau. ❞ Termina Corbeau en déposant sa tête sur le rocher plat, plissant ses yeux après ce vague conseil et ce léger encouragement. Ce n'était pas vraiment par gentillesse, juste pour ne pas qu'il la trouve horripilante aux premiers abords. Après tout, si elle parvenait par un miracle à sortir de là, peut-être serait-il une aide?

Le disque jaune qui plane au-dessus de leurs têtes ne cesse de briller, et par conséquent, de réchauffer leurs corps. Commodor sent son souffle devenir plus saccadé et erratique à chaque seconde qui s'écoule, l'esprit embrumé à cause de la chaleur. L'été était bien la seule saison qu'il détestait parmi toutes, parce que c'était dans par ce genre de météo qu'il se surprenait à maudire ses ancêtres arctiques. Si seulement il n'avait pas hérité de ces poils longs et denses, si seulement il possédait un pelage fin et clair.

Les paroles de l'étranger en contrebas, qui s'avérait être une étrangère, l'obligea à se concentrer sur ses mots, au lieu d'être distrait par les vagues de chaleur qui se dessinaient à l'horizon. Il lui aurait bien dit de ne pas s'inquiéter, qu'il allait la secourir, mais il n'en était pas sûr de pouvoir se sauver lui-même, donc il n'allait pas trop s'avancer sur le sujet. Heureusement elle était vivante, mais elle était aussi essoufflée que lui par la soif. Il fallait vraiment qu'il trouve une solution pour redescendre, et par conséquent, aider cette louve à faire de même. Son regard doré attrapa des rochers à coté de sa plate-forme, qui semblait stable, et il osa poser ses pattes dessus, s'attendant à tout moment à ce que les rochers ne s'écroulent et ne l'écrasent par la même occasion.

Rien de tel n'arriva, et il put descendre sur une nouvelle plate-forme. Son saut se termina par un atterrissage raté, puisque sa mâchoire rencontra durement la terre sèche lorsque son corps tomba d'épuisement. Sans s'hydrater, il lui était impossible de continuer. Du moins physiquement, car mentalement, il gardait une force incomparable. Un grognement nasillard lui rappela l'avertissement de la louve sur les bestioles qui habitaient les grottes des falaises, et il se releva précipitamment en se rendant compte que l'odeur des carcajous empestait la plate-forme ou il se trouvait. Ni une ni deux, le danger imminent l'encouragea à descendre rapidement, sans se soucier du fait que ses pattes s'écorchaient sur les pointes des pierres.

Un dernier saut, moins spectaculaire que les précédents, et il se retrouvait à la plate-forme de la louve à laquelle il avait adressé la parole il y a quelques secondes à peine. Enfin, il s'accrocha du mieux qu'il le pouvait ; en effet, son saut était plus mou que les précédents, et du coup, si le haut de son corps était sur la plate-forme, le bas pendait misérablement dans le vide. Ses griffes raclaient inutilement la terre sèche, et de ses yeux, il lança un appel à l'aide à la louve devant lui, en espérant qu'elle ait assez de force et de gentillesse pour l'aider à remonter.

La louve ferma complètement ses yeux, sonnée par la chaleur. Rien à voir avec les étendues enneigées de son ancien territoire, elle devait absolument remonter dans le nord. Du moins, si son destin était de survivre à cette épreuve. Peut-être que le loup noir était écrit dans ce fameux destin? Peut-être devaient-ils s'entraider. Cela lui semblait gros, elle, aider quelqu'un? Par cette chaleur? Alors qu'elle était faible et bientôt morte? Non. De toute façon, elle entendait les griffes du loup sur la roche, certainement partait-il afin de sauver sa propre peau. Sage décision, elle aurait fait la même chose. Seulement, un gros fracas se fit entendre et Corbeau rouvrit un œil, les oreilles dressées. Que se passait-il? Le loup avait chuté et était mort? Elle ne voyait plus le loup, de toute façon, elle n'avait pas envie de dépenser de l'énergie à chercher dans les hauteurs ou sur le côté la silhouette du canidé noir. Elle conserva ses yeux ouverts mais resta couchée. Elle se souvenait alors du jour de son bannissement, lorsque les deux loups envoyés avaient tenté de la tuer. C'était presque comparable à maintenant, elle n'avait ni morsures ni griffures qui torturaient son corps mais cette-fois, c'était la soif. Et encore une fois, elle restait couchée sans bouger. Du bas de sa plateforme, Corbeau n'entendit même pas les grognements des bestioles, occupée à s'imaginer laper l'eau du lac plus bas sans avoir la force de se bouger les fesses.

Et alors, une masse noire bondit sur sa plateforme. La louve aux yeux dorés écarquilla ses orbes, observant le loup noir qui glissa mollement sur la roche, se réceptionnant si mal qu'il risquait de glisser à tout moment. Il griffait la terre sèche dans l'espoir de s'agripper mais cela ne servait aucunement, il n'arrivait qu'à détacher quelques morceaux de la taille d'une pierre qui glissaient dans le vide. Corbeau restait un moment abasourdie. Pourquoi était-il venu? Pour l'aider? Pourquoi n'avait-il pas voulu sauver sa peau? Elle ne comprenait absolument pas, vraiment. Comme cela n'aurait pas été son comportement, elle avait du mal à saisir. Mais le temps n'était pas à la réflexion, elle devait aider cet imbécile qui la suppliait du regard de l'aider. Ce n'était aucunement dans tes habitudes mais la louve était bien trop choquée par le comportement du canidé. Alors elle s'approcha du loup, restant couchée, se glissant lentement vers le canidé. Elle glissa son nez dans les poils longs et ondulés du loup noir afin de chercher sa peau et agrippa entre ses crocs, tentant de le tirer du mieux possible. Fermant ses yeux, baissant ses oreilles arrondies, elle tira de ses forces restantes. Au final, peut-être que tout cela était inscrit dans son destin. Derrière, elle entendit quelques ricanements, encore ces fichues bestioles? Corbeau parvint à tirer légèrement le loup, sentant ses forces la quitter de plus en plus. Elle risquait de se faire embarquer par-dessus bord également si ça continuait!

Et enfin, les deux canidés parvinrent à remonter totalement sur la plateforme. Corbeau se laissa tomber sur le ventre, encore plus essoufflée. Elle n'avait jamais été doué pour sa force et le loup noir à ses côtés était tout de même imposant. Les yeux dorés de la louve se fermèrent quelques secondes puis, elle les rouvrit, observant son congénère, la langue encore pendante. ❝ Vous auriez mieux fait de poursuivre votre chemin sans m'aider. Vous ne semblez pas non plus apprécier cette chaleur. ❞ Fit la louve dans un léger soupire avant de se redresser lentement, rester collé à la roche n'était certainement pas une excellente idée. Et rentrer dans l'une des grottes non plus, les bestioles guettaient et ils étaient tout les deux dans un faible état. ❝ Une idée pour sortir de là? Je crois que je ne suis plus capable de bondir ainsi, et vous avez faillis y passer. Pensez-vous que l'une des grottes mènent à l'extérieur? ❞ Termina Corbeau en observant autour d'eux, il y avait bien une grotte si l'ont poursuivait sur leur gauche mais le chemin pour y aller était étroit et dangereux.

Il n'était pas tombé sur un de ces individus égoïstes qui préféraient voir mourir leurs congénères que de leur venir en aide, puisque la femelle daigna ramper jusqu'au bord de la plate-forme, pour agripper sa peau de ses crocs et essayer de le tirer vers elle. La tâche ne fut pas aisée, il en fut conscient, étant donné son poids et sa taille. Mais elle finit par y arriver avec un élan d'énergie, et le noiraud put de nouveau respirer en sentant la terre ferme sous son poitrail. Il était sauvé. Enfin, il ne devait pas parler trop vite ; les carcajous n'étaient pas loin d'eux, et ils n'allaient pas apprécier le fait que deux bestioles poilues se soient introduites sur leur territoire.

Il se sentit légèrement coupable en voyant la fatigue dont était victime la louve à ses cotés, qui devait être maintenant encore plus épuisée qu'au départ. Mais maintenant qu'ils étaient deux, ils pourraient peut-être arriver à se sortir de cette situation épineuse. « Je vous l'accorde, je ne suis pas fait pour supporter les périodes de grosses chaleurs. Mais je n'allais pas vous abandonner à votre sort, à deux nous pourrons peut-être trouver un moyen de redescendre. » souffla-t-il en articulant difficilement. Il était vraiment épuisé et plus il parlait, plus il sentait sa salive se gaspiller. S'ils ne réagissaient pas rapidement, ils finiraient soit grignotés par les carcajous ou les rapaces des falaises, soit ils glisseraient et tomberaient. Et à cette hauteur, seule la mort les attendait.

Commodor se releva en jetant un coup d'oeil par-dessus son épaule, en direction du vide. Il était bien trop risqué de tenter une autre descente, pas dans leurs états. Un grondement frustré résonna dans son poitrail, comme ses yeux se plissaient pour l'aider à se concentrer. Il avait l'impression que son corps et ses coussinets étaient en train de brûler, et cela ne l'aidait pas à penser calmement. Il considéra longuement l'idée de la jeune louve, se retrouvant rapidement contraint d'acquiescer. « Nous n'avons plus le choix, désormais. Les grottes sont notre dernière chance, même si elles ne mènent pas jusqu'en bas, si nous sommes assez chanceux, nous pourrions trouver de l'eau souterraine. » expliqua-t-il en s'avançant vers la grotte la plus proche, située au même niveau que leur plate-forme.

Il n'aimait pas l'idée de s'aventurer dans ce dédale rocheux, parce que les carcajous les y attendaient surement. Mais ce n'est pas comme si ils avaient le choix, après tout. Ils devraient payer leurs raisons de se retrouver sur ces falaises, quelles qu'elles soit. C'est donc avec une démarche mal-à-l'aise que le noiraud entra dans la grotte, ses yeux clignant brusquement pour s’accommoder à la semi-obscurité autour d'eux. « Je ne me suis même pas présenté, pardonnez mon insolence. On m’appelle Commodor sur ces terres. Merci pour tout-à-l'heure.. » Il osa un sourire amical envers la femelle qui marchait près de lui, avant de continuer. « Avez-vous déjà combattu les carcajous ? J'ai bien peur que ces derniers vont nous tomber dessus tôt ou tard. »

Le loup semble avoir un noble cœur contrairement à Corbeau qui se fait passer pour une louve au cœur noble. Au fond, elle aurait pu l'être également si la vie ne lui avait pas réservé autant de mauvaises surprises. Le mâle disait que trouver un moyen de redescendre à deux serait peut-être plus évident. Corbeau soupira doucement, levant les yeux vers les hauteurs, les bestioles semblaient s'êtres éloignés mais seulement pour l'instant. Ils ne semblaient pas vraiment apprécier les loups. Pas le moins du monde même, pourquoi? Allez savoir. Corbeau observait tranquillement le mâle qui jetait un coup d’œil vers le vide, évaluant peut-être la hauteur. De là, sauter serait un acte de folie, un véritable suicide, c'était clair. Corbeau avait beau savoir nager, tomber de cette hauteur de le lac était une très mauvaise idée. Remonter ne serait pas une chose aisée vu leur fatigue respective et qui disait qu'il n'y avait pas de rochers, au fond du lac? Tandis que le mâle aux yeux d'or semblait réfléchir à la proposition de la femelle, cette-dernière observait vers la grotte. Cela leur ferait de l'ombre, plus de fraîcheur. Étrangement, elle se sentait mieux, comme si avoir aidé le loup (et inversement puisque sans son intervention, elle se laisserait certainement mourir) lui avait insufflé de l'énergie.

❝ Nous n'avons plus le choix, désormais. Les grottes sont notre dernière chance, même si elles ne mènent pas jusqu'en bas, si nous sommes assez chanceux, nous pourrions trouver de l'eau souterraine. ❞ Les orbes dorées de la louve s’illuminèrent doucement malgré elle, de l'eau. C'est vrai, avec le lac qui coulait plus bas, ils avaient une chance de dénicher un peu d'eau, même une flaque, quelque chose qui leur permettrait de sortir de là ou au moins de trouver un moyen. Déjà, il se mettait en route vers la grotte la plus proche et Corbeau le suivit après avoir approuvé ses dires d'un hochement de tête. Elle avait l'impression que si elle parlait trop, elle se dessécherait encore plus vite. La salive lui manquait terriblement. La tête légèrement basse, les oreilles un peu en arrière, Corbeau entra à son tour dans la grotte. Les bestioles pouvaient surgir à tout moment, ils avaient l'avantage du terrain et de plus, l'avantage d'être en forme.

❝ Je ne me suis même pas présenté, pardonnez mon insolence. On m’appelle Commodor sur ces terres. Merci pour tout-à-l'heure.. ❞ Corbeau redressa un peu sa tête, sa vue s'habituait tout juste à l'obscurité, elle n'y voyait pas complètement mais c'était suffisant pour avancer sans rentrer dans une paroi rocheuse. Elle aperçu le sourire amical du mâle. Commodor. Un nom qui en imposait, il fallait l'avouer. Il donnait une impression de... puissance? Oui, quelque chose comme cela. ❝ Avez-vous déjà combattu les carcajous ? J'ai bien peur que ces derniers vont nous tomber dessus tôt ou tard. ❞ Corbeau arqua un sourcil, un carcajou? C'était donc ainsi que s'appelait ces bestioles? Elle cligna des yeux, observant quelques instants devant elle avant de reposer ses orbes d'or sur son allié du jour. ❝ Enchanté et ne vous excusez pas, j'ai aussi omis de vous donner mon prénom. Je me nomme Corbeau. ❞ Elle sursauta légèrement lorsqu'elle buta dans une petite pierre qui roula un peu plus loin. La femelle semblait assez nerveuse, l'idée de se faire attaquer par les dénommés carcajous ne lui plaisait pas du tout.

❝ Par ailleurs, je dois également vous remercier, Commodor. Je me serai bien laissé mourir si vous n'aviez pas décidé de m'aider. Egalement... j'ai peur de ne pas être très utile si les carcajous nous attaquaient, je ne suis pas une bonne combattante. ❞ Déclara la femelle dans un léger soupire, glissant son regard devant eux. La grotte déviait à présent sur la droite, toujours en un seul chemin. Il faisait en tout cas bien plus frais ici, et cela ravivait doucement l'énergie de Corbeau qui souffrait toujours mais avait enfin l'impression de pouvoir tenir le coup. Et mine de rien, elle ressentait à présent le besoin de se renseigner sur son allié du jour, comme elle avait besoin de se renseigner sur ses rencontres. Qui n'avaient pas encore été bien nombreuses, il faut l'avouer. ❝ Faîtes-vous parti d'une meute, Commodor? Je ne sais même pas combien il y en a ici, ni vraiment où je suis, à vrai dire, je suis perdue. ❞ Fit Corbeau en observant toujours avec attention autour d'elle. Elle offrait la moitié de son attention à l'environnement autour d'elle, craignant une attaque surprise.

L'ombre que leur procurait la grotte était juste divine, et c'est à peine s'il se retenait de se secouer pour apprécier pleinement l'humidité au sein de la grotte. Ses yeux faisaient sans cesse l'aller-retour entre le chemin devant lui et la louve à ses cotés. C'est peut-être leur ressemblance qui le poussait à redoubler d'attention envers elle. S'il n'était pas dans son état normal, il aurait très bien pu la confondre pour l'un de ses frères disparus. Ses poils étaient d'une couleur noire pâle, ses yeux avaient la même fragrance dorée que les siens. C'était vraiment troublant pour Commodor, lui que la disparition de sa famille toute entière rongeait encore aujourd'hui, que de voir une femelle lui ressemblant autant physiquement. Quand à son caractère, elle avait l'air d'être d'alignement neutre, mais il ne la connaissait pas, et ne préférait pas la juger sans en savoir plus sur elle. Et il était sûr que leur petite escapade dans les terriers des carcajous leur donneraient le temps de faire plus ample connaissance.

Un sourire cette fois-ci amusé se dessina sur sa gueule en entendant son nom. Corbeau, c'était un nom qui lui allait bien, après tout. Son physique correspondait à celui du volatile funeste. Il tressaillit légèrement lorsque Corbeau fit rouler une petite pierre, s'amusant presque de la voir sursauter aussi au soudain bruit. S'ils commençaient à se faire peur touts seuls, ils n'étaient pas prêts d'arriver sain et sauf jusqu'en bas. S'ils y arrivaient un jour, bien sûr. Plus le regard du noiraud se dirigeait devant eux, et plus son anxiété augmentait, allant jusqu'à hérisser les poils de sa queue tendue. C'était étroit, et ils avaient toutes les chances du monde de tomber dans une crevasse et de ne jamais en ressortir. Entre ça et ces saletés de carcajous, leurs chances de survies étaient plus que minces. « Je vous rassure, je n'ai jamais engagé de combat avec ces bêtes non plus. Et j'espère que ce n'est pas aujourd'hui que je commencerais. » grogna-t-il doucement.

Ses pattes lui faisaient atrocement mal, et il espérait au moins que le saignement avait stoppé. Grâce à lui et à ses blessures, les carcajous allaient les repérer cent fois plus rapidement. Comme quoi, il aurait peut-être dû rester là ou il était. Entendre la femelle parler de mourir lui fit dresser ses oreilles, intrigué. « C'est un triple merci que je vous renvoie alors. Si je n'étais pas tombé sur vous, je me serais laissé mourir également. » lui confia-t-il. Puisqu'ils en étaient aux confessions, autant aller jusqu'au bout. « Je serais pourtant curieux de connaitre les raisons pour votre part. Mais si vous ne voulez pas, alors ce n'est pas grave. » Il comprenait tout à fait qu'elle ne veuille pas lui raconter son histoire ainsi que les raisons qui la pousserait à se laisser mourir.

Un soudain sifflement qui résonna dans la grotte le fit s'arrêter, et immédiatement, il gronda en direction de Corbeau pour lui signaler de ne plus bouger. Seul leurs respirations les trahissaient, et encore. Le bruit ne se répéta pas, mais juste au cas ou, il attendit quelques minutes en silence et en parfaite immobilité, avant de se remettre en route. « Je ne suis qu'un vulgaire vagabond. Je n'ai aucunes attaches sur ces terres, et pour tout dire, ce sont les humains qui m'ont relâchés ici. » confessa-t-il d'un ton plus bas qu'auparavant. Il n'était jamais fier de parler des bipèdes, parce que les réactions de ses congénères étaient toujours contre lui, comme s'il les avaient trahis. Il tourna la tête pour s'assurer que la louve le suivait encore, exécutant un petit bond pour sauter entre une crevasse sur la terre ferme en face. Il attendit que la louve en fasse de même. « Je vous rassure, vous n'êtes pas la seule à être perdue. Je l'ai été aussi, à mon arrivée ici. Qu'en-est-il de votre coté ? »

Commodor avoua n'avoir pas non plus déjà combattu ces bestioles. Ce serait compliqué s'ils venaient à se battre contre plusieurs carcajous, ils ne connaissaient rien d'eux. Et comment se battre adéquatement sans connaitre l'adversaire? Pour Corbeau, c'était impensable. Le regard or se glissa vers les pattes de son allié qui semblait souffrir à ce niveau, en même temps il avait fait de sacrées descentes pour l'atteindre. Corbeau redressa sa tête, écoutant les paroles du mâle noir qui la remerciai encore. Corbeau était... perturbée? On ne l'avait jamais remercié ainsi - en même temps, elle avait depuis longtemps abandonné l'idée d'aider les autres - et cela lui faisait étrange. Mais pourquoi se serait-il aussi laissé mourir? Il devait lui aussi avoir ses bonnes raisons, comme toi tu avais les tiennes. Peut-être pas bonnes, mais tu avais tes raisons. D'ailleurs, le mâle en vint à cela, disant qu'il était curieux de connaître les raisons de la femelle. Celle-ci arqua un sourcil, observant un instant Commodor. Alors qu'elle allait répondre, un sifflement se fit entendre et Commodor poussa un grognement pour intimer le silence à la femelle noire. Celle-ci se baissa légèrement, les oreilles basses, observant autour d'eux en ramenant sa queue près de son corps.

Ils ne bougèrent pas durant quelques minutes, Corbeau restait silencieuse, calmant doucement sa respiration. Elle crevait d'envie de partir de là, jugeant que les émotions fortes étaient suffisantes pour aujourd'hui. Une bonne baignade dans l'eau fraîche ferait tant de bien. Elle prit un peu de temps pour observer Commodor, sa prestance, son pelage sombre, ses orbes dorées. Ils étaient physiquement identiques, même la fourrure, même pelage, même couleur de yeux, pratiquement la même morphologie. Venait-il d'ici? Ou d'autre part? Les loups du coin ne semblaient pas dotés d'autant de poils, il faut dire qu'appart dans le nord, il faisait assez chaud par-ici. Beaucoup trop pour la noiraude. Enfin, ils purent se remettre en route, avançant sur le chemin étroit et sombre. Commodor parla de nouveau. Un vagabond, un solitaire, tout comme elle. Elle écarquilla ses yeux lorsqu'il parla des humains. Lui aussi? Lui aussi les humains l'avaient relâché ici? Corbeau s'était vu incorporé une puce afin qu'on connaisse sa position exacte mais cela, elle n'en savait rien, elle ne se souvenait même pas de l'opération. S'assurant visiblement qu'elle était toujours là, il tourna sa tête avant d'effectuer un léger saut par-dessus une petite crevasse. Corbeau bondit à son tour, d'étendant ses longues pattes et atterrissant assez lourdement près de son allié. Elle était encore fatiguée, encore assommée, pas au mieux de sa forme.

Commodor poursuivit, lui aussi avait été perdu à son arrivé dans la réserve, il lui demanda alors comment cela se passait du côté de la femelle aux yeux dorées. Celle-ci soupira légèrement, redressant ses oreilles et poursuivant sa route aux côtés de Commodor. Il ne semblait pas mauvais, et il était comme elle, un loup importé. Elle n'avait aucunement besoin de mentir et, actuellement, elle n'avait pas assez d'énergie et de volonté pour ne serait-ce qu'embêter un peu son congénère. Et l'envie n'y était pas non plus, il pouvait représenter un pilier de taille pour la suite. Un bon allié. ❝ A vrai dire, je suis comme vous. Les humains m'ont capturés alors que je cherchais à manger pour des personnes. Ils m'ont soigné, nourri et puis, après quelques semaines, j'ai été relâché ici. Quelles sont leurs motivations? Je ne comprends pas, j'étais peut-être en piteux état à ce moment-là mais j'aurais pu me débrouiller seule. ❞ Grogna la femelle, repensant à ce jour où elle fut arrachée à la meute de rejetés qu'elle avait formé avec Ranger qui était à présent seul pour gérer la meute. Elle souffla légèrement puis redressa sa tête. ❝ Enfin, maintenant, je suis également une vagabonde ici depuis... quelques jours. Et, je te propose qu'on se raconte nos raisons respectives si nous parvenons à sortir de-là vivants? ❞ Termina la femelle dans un léger sourire au coin, amusé par elle-même. Qu'allait-elle lui dire? Enfin, c'était évident et peut-être que les raison de Commodor étaient également évidentes. Enfin, l'une de celles de Corbeau n'était cependant pas logique pour beaucoup, mais ça, c'était à cause de la culture dans laquelle elle avait été élevé.

Après quelques instants, la louve noire cru entendre un bruit d'eau, de goutte tombant dans une flaque ou quelque chose de plus gros. Corbeau tendit sa tête et s'arrêta, le bout de sa langue trop blanche pendant entre ses canines. De l'eau? Enfin de l'eau? Elle redressa ses oreilles et tourna sa tête vers Commodor, le pressant d'un hochement de tête. ❝ Je crois qu'il y a de l'eau, vite! ❞ Grogna t-elle en accélérant l'allure, soudainement revigorée, se pressant comme si elle avait terriblement peur que l'eau disparaisse. Et au détour du chemin, elle vit un trou assez large, peu profond. De l'eau y tombait doucement, goutte par goutte. Ils pouvaient aisément partager histoire de se désaltérer en attendant de sortir de là. Corbeau s'en approcha, la renifla puis y déposa sa langue, lapant un peu. Elle était fraîche et plutôt bonne. Certainement pas autant que celle qui les attendrait plus bas mais c'était déjà ça. Elle bu encore un peu, appréciant le liquide qui s'écoulait dans sa gorge, les yeux clos. Elle s'effaça ensuite pour laisser assez de place à Commodor. Elle s’essaya, poussant un long soupire de soulagement jusqu'à que... Des ricanements mauvais, du mouvement. Des carcajous? Corbeau se recula légèrement, la queue basse, les oreilles en arrière, grognant. Ils se montraient finalement. ❝ Commodor... ils sont là... ❞ Fit doucement la femelle, se tenant fièrement sur ses pattes, prête à se défendre.

Les yeux du noiraud s'écarquillèrent en entendant les propos de Corbeau, qui venait tout juste de lui avouer qu'elle aussi avait été relâchée ici par les deux-pattes. Il n'était pas surpris par cela, il avait vu bon nombre de ses congénères au sein du refuge humain. Ce qui le surprenait, c'était le fait que les bipèdes aient relâchés autant de loups sur ces terres. Il partageait l'avis de la jeune louve, il ne savait pas non plus quel était donc le but des humains en procédant de la sorte. Peut-être voir s'ils parvenaient à s'intégrer aux meutes déjà présentes ? Mais dans le cas contraire, cela voulait dire qu'ils risquaient les vies de leurs "protégés" en les confrontant aux meutes. Il grinça brusquement des dents en songeant à cela, contrarié. Il aimait bien les humains, mais il sentait qu'il n'allait pas le faire pendant longtemps.

Sa tête bougea de haut en bas pour approuver les dires de Corbeau, qui lui proposait maintenant qu'ils se racontent leurs raisons une fois sortis de ce dédale pierreux. S'ils en sortaient bien sûr, parce qu'ils s'étaient tous deux basés sur l'hypothèse que la grotte les mèneraient à une sortie quelconque. Mais cela pouvait aussi mener à une impasse, ou à un terrier rempli de carcajous. Soudain, un bruit de liquide qui coule lui fit dresser les oreilles, et la femelle courut avec excitation devant lui, en criant qu'il y avait de l'eau plus loin. Avec un sourire soulagé, il trotta derrière pour la suivre, la remplaçant près du trou ou l'eau coulait pour s'abreuver et humidifier sa langue plus sèche que sèche. « Ça fait du bien. » souffla-t-il une fois repu. Ses sens allaient mieux désormais, grâce à l'ombre de la grotte et à l'eau qu'il venait de boire, et il se sentait prêt à affronter les montagnes, à nouveau.

Sauf que cette fois-ci, ce n'était pas les montagnes son adversaire, mais les habitants de cette dernière. Des ricanements mauvais retentirent autour d'eux, et Commodor bondit aussitôt près de Corbeau, se plaçant devant elle pour lui servir de bouclier au cas ou. Il était capable d'encaisser les coups de ces sales bestioles, et s'il pouvait protéger sa compagne de route par la même occasion, c'était tout bon pour lui. « Corbeau. Fermez les yeux. » ordonna-t-il en fermant les siens juste après. Les éclats dorés de leurs iris allaient les trahir, dans une telle obscurité. Ses oreilles se tournaient dans toutes les directions, repérant de-ci et de-là les mouvements des pierres, les raclements des griffes des carcajous sur la pierre. Ils n'étaient pas loin, et si ils se contentaient de leur tourner autour pour les faire paniquer, ils n'allaient pas tarder non plus à attaquer.

Un coup de vent se fit sentir sur son coté gauche, et aussitôt, il rouvrit les yeux pour dévoiler ses crocs pointus, et les plonger dans la nuque du carcajou qui essayait de se glisser derrière lui pour s'en prendre à Corbeau. Si au début, il ne comptait pas leur faire du mal, il changea rapidement d'avis en comprenant qu'ils étaient encore plus nombreux que ce qu'il pensait. Il exécuta une forte pression sur le cou de la bestiole, qui se débattit aussitôt en couinant, et après une dernière pression, un craquement retentit. Il lança sans ménagement le cadavre de la bestiole devant lui, histoire de prévenir les autres carcajous qu'ils étaient encore capables de se battre. Il jeta un coup d’œil dans son dos pour s'assurer que Corbeau allait bien, et c'est là qu'il fit une erreur ; un carcajou en profita pour sauter sur lui, et planter ses petites dents tranchantes dans son épaule droite, arrachant un glapissement de douleur au noiraud.

La louve sentit Commodor se bouger, il se mettait devant elle! La louve baissa un peu plus ses oreilles, elle avait encore un peu de mal à saisir cette attitude, il avait un grand cœur, c'était évident. Elle ne perdit pas plus de temps à réfléchir lorsqu'il ordonna de fermer les yeux, comprenant qu'avec leurs iris brillantes d'or, ils seraient plus facilement repérable dans l'obscurité. Alors que justement, ils pouvaient se servir de l'obscurité puis qu'ils étaient d'un pelage de ténèbres. La louve ferma donc ses yeux, redressant ses oreilles, écoutant. Les grognements résonnaient un peu de partout à son goût mais les raclements de griffes sur le sol ne mentaient pas. Les deux canidés se faisaient tourner autour, c'était évident. Corbeau se retint de grogner d'agacement, les poils de son dos et de sa nuque s'hérissant peu à peu. Elle entendit alors les crocs de Commodor en action, interceptant un carcajou qui avait visiblement tenté de s'en prendre à la femelle qui, à leurs yeux était certainement plus faible que l'imposant mâle. Ce qui n'était d'ailleurs pas faux, Corbeau ne s'étant jamais battu de sa courte vie. Un bref gémissement retentit puis ce fut le bruit de cou brisé, un craquement horrible puis un bruit lourd. Un bruit lourd de corps retombant mollement sur la roche. Corbeau déglutit avec difficulté, Commodor avait une grande force et à cet instant, elle se sentait rassuré d'être en sa compagnie.

Corbeau rouvrit ses yeux et vit ceux du mâle dans sa direction avant qu'une masse lui bondisse dessus en grognant, lui mordant l'épaule, lui arrachant un glapissement douloureux. Presque sans réfléchir, mué par elle ne sait quel force - de l'adrénaline? - la femelle s'élança et percuta de plein fouet le carcajou qui lâcha sa prise pour tenter un coup de griffe. Corbeau ne sentit rien, la patte se perdant dans l'immense fourrure de sa gorge. Elle planta ensuite ses crocs dans la jugulaire de la bête, obéissant à ses instincts, ne réfléchissant pas, agissant, tout simplement. Le carcajou se débattait, tentant de griffer la femelle aux yeux d'or qui baissa ses oreilles, resserrant sa prise. Un second carcajou tenta l'assaut, venant percuter le flanc droit de Corbeau qui se fit éjecter sur le côté, roulant sur la roche avec le carcajou. Il reprit vite le dessus, plantant ses crocs au niveau du poitrail de la louve qui leva sa tête, enserrant la gorge de la bestiole entre ses mâchoires fines mais puissantes. L'autre carcajou blessé à la jugulaire semblait avoir un peu calmé ses ardeurs, la gorge en sang. Mais celui que Corbeau retenait s'agitait comme un fou furieux et la femelle grogna de douleur en sentant les longues griffes lui cisailler la chair. Et en attendant, elle retenait la leçon: ne plus jamais grimper par-ici, une fichue mauvaise idée. Une belle connerie.

Cependant, elle pouvait s'estimer bien heureuse d'être tombée sur Commodor. Elle n'avait jamais combattu et ne pensait pas qu'elle combattrait un jour aux côtés de quelqu'un. Si on lui avait dit ça, elle aurait bien rit au nez du canidé en question. Le carcajou qu'elle tenait se recula brutalement, grognant, elle eut le temps de se relever, reculant de quelques pas, la tête baissée, grognant. Ils n'allaient pas abandonner? Commodor en avait tué un avec force et elle avait réussit à en blesser un assez pour que ses prochains jours soient en danger. Elle soupira doucement, l'adrénaline coulait dans ses veines, lui offrant une nouvelle énergie, son cœur battait fortement. Elle intercepta le carcajou qui l'avait poussé, il avait retenté une offenseive mais elle l'envoya valser d'un coup d'épaule. Elle retourna sa tête vers son allié aux yeux dorés, essoufflée.
❝ Pas trop de mal, Commodor? ❞ Demanda t-elle d'un souffle avant de surveiller encore une future attaque contre elle, se demandant comment s'était débrouillé le mâle durant son altercation avec les deux autres bestioles enragées.

Saloperies, jura intérieurement le mâle en se rendant compte que le carcajou qui avait opté pour planter ses petites dents dans son épaule s'accrochait à lui comme à une bouée en pleine mer, et malgré les tentatives désespérées du noiraud de se secouer pour s'en débarrasser, la petite bête poilue continuait à pendre à son épaule. Le pelage du mâle était peut-être dense, et sa peau plus dure que du cuir, mais les dents des carcajous étaient connus pour être capables de broyer des os relativement larges. Rapidement, l'animal parvint à percer sa peau, causant la colère du loup, que la douleur irrita au fur et à mesure.

Heureusement pour lui, Corbeau décida de prendre les choses en main en se jetant sur la petite bête, pour la pousser de tout son poids. Commodor gronda de douleur lorsqu'il se rendit compte que le carcajou lui avait arraché une petite partie de peau par la même occasion, furieux. Peu de choses en ce monde le mettait sur les nerfs, et se faire attaquer de la sorte en était une. Alors qu'il s'apprêtait à prêt main-forte à la louve, un autre carcajou sortit de nul-part pour sauter sur son dos, plongeant ses griffes dans son pelage pour chercher à le blesser. Le mâle se tortilla dans tous les sens pour essayer d'attraper la bestiole sur son dos, mais malheureusement, son ossature l'empêchait de plier le cou suffisamment pour cela. Un peu pris au dépourvu, il reprit néanmoins ses esprits, reculant rapidement en direction du mur pierreux derrière lui.

Son dos rencontra plutôt violemment le mur en question, et avec un couinement de douleur, le carcajou lâcha prise. Le temps que Commodor ne se retourne, il avait disparu dans l'ombre de la grotte. Le mâle commençait à nouveau à ressentir la fatigue d'auparavant, lorsqu'il était piégé en haut des falaises. Ce n'est pas uniquement en s'hydratant qu'ils allaient récupérer leurs forces miraculeusement et venir à bout de toute la famille de gloutons qui semblaient habiter dans ces grottes. C'était la panique qui faisait son chemin jusqu'au cœur du grand mâle, qui eut le temps de tourner la tête pour voir sa compagne de route aux prises avec deux carcajous. La situation leur échappait, lentement mais surement. Ce n'était pas un concept que le noiraud affectionnait tout particulièrement, mais ils n'avaient plus d'autre choix que de fuir, désormais.

Haletant doucement, essayant de calmer le rythme de son cœur qui battait furieusement à ses tempes, Commodor offrit un regard qu'il espérait tendre à la jeune louve. Il n'avait pas vu les détails de son combat, mais elle avait réussi à repousser ses propres adversaires, alors qu'elle n'avait jamais combattu de bestioles pareilles pour le passé. Il y avait là un potentiel certain, qu'une meute pourrait certainement mettre à profit. C'était presque étrange que de se dire qu'il combattait aux cotés d'une autre solitaire, à vrai dire. Il s'était habitué au fait que les vagabonds ne se rejoignent pas, qu'ils ne forment pas de groupes et qu'ils s'occupent de leur propre vie. Autant dire que Corbeau bouleversait tout cela. « Quelques éraflures par-ci par-là, mais rien de bien grave. Et vous ? » s'enquit-il, vérifiant rapidement l'état de la femelle.

Elle avait également été écorchée à certains endroits, son pelage perdait des poils. Mais comme lui, elle était encore capable de se tenir sur ses 4 pattes, c'était le principal. Tandis que les carcajous se réunissaient autour d'eux, encore plus déterminés qu'auparavant de les faire tomber et de se réjouir sur leurs carcasses, Commodor regardait autour d'eux, l'espoir s’immisçant dans son cœur en apercevant un trou lumineux non loin d'eux. S'ils couraient assez vite, ils pourraient arriver jusque là-bas. C'était une tentative risquée, surtout s'ils se retrouvaient coincés entre le vide et les carcajous. « Est-ce que vous...me faites confiance ? Rien qu'un peu ? » Il avait tourné la tête en direction de Corbeau, pour la pousser légèrement de sa truffe, et ainsi lui désigner la sortie, dans l'espoir de lui faire comprendre ce à quoi il pensait.

C'était une question de vie ou de mort. Une fois qu'il aperçut sa réponse, Commodor n'hésita pas une seule seconde : après avoir dérapé juste sous les yeux des carcajous, pour envoyer des gravats dans leur direction dans le but de les distraire, il entreprit de courir en direction de la sortie, Corbeau sur ses talons. Une dernière inspiration, un dernier élan de courage, et il sautait sur le bord de la plate-forme extérieure, pour plonger dans le vide, et dans le lac situé juste au-dessous des grottes.

Les morsures et griffures des bestioles brûlaient Corbeau qui serrait les crocs, les pattes tremblantes légèrement. Jamais elle n'aurait pensé depuis son arrivée ici vivre quelque chose comme cela avec quelqu'un, un vagabond qui plus est. Elle s'était promit de ne plus s'occuper des autres et voilà qu'elle se retrouvait dans l'obscurité d'une grotte, encerclée par des Carcajous avec Commodor. Et en plus, elle se battait. Et elle se débrouillait assez bien, mine de rien. Serait-elle finalement habitée par une brusque envie de vivre? Commodor assura qu'il avait quelques blessures mais rien d'important, lui demandant ensuite si elle, ça irait. La femelle aux yeux d'or croisa le regard du mâle qui observait rapidement son état. ❝ Ça ira, merci. ❞ Souffla la femelle noire en se redressant légèrement, griffant nerveusement le sol dur de ses griffes noires. Les grognements se firent davantage, plus forts, plus hargneux. Ils n'appréciaient visiblement pas la hargne des deux canidés noirs qui avaient même tué l'un d'eux et mit en péril la vie d'un autre. Ils se feraient un plaisir de se délecter de leur chair, c'était certain. Tandis que Corbeau tentait de ne pas perdre du regard les bestioles qui menaçaient d'attaquer à tout moment, la voix de Commodor s'éleva de nouveau. Confiance? Elle sentit la truffe humide du mâle la pousser légèrement et elle vit à son tour le trou lumineux. Un espoir de sortie sur une plateforme mais... après? Le grand plongeon? La louve soupira doucement puis hocha la tête avec détermination. Soit ils mourraient tués par les carcajous, soit ils tentaient le tout pour le tout. Corbeau préférait tenter et l'adrénaline n'était pas encore descendu, elle se sentait pousser des ailes!

Le cœur battant, le souffle court, elle s'élança à la suite de Commodor. Les carcajous hurlèrent, fonçant à leur poursuite. Corbeau sentit les crocs de l'un manquer d'attraper l'une de ses pattes arrières et elle accéléra son allure. La tête droite, les oreilles basses, elle courait vers la lumière, le regard rivé vers le trou de l'espoir. Commodor passa le premier d'un bond, ses pattes frôlant la plateforme avant qu'il ne plonge. La femelle avait l'impression que son coeur tentait de percer son poitrail en feu, sa gorge était sèche, sa langue blanche, elle eut pourtant un fin sourire. Elle poussa fortement sur ses postérieurs et sortit du trou, ses pattes avant retombant sur la plateforme. Elle eut à peine le temps de faire un pas sur la plateforme qu'elle manqua de glisser, se rattrapa de peu et bondit. Elle vit le corps de Commodor plonger avec une grande vitesse. Elle ferma ses yeux, se sentant légère, mais tout allait si vite. Effrayant. Génial. Une sensation à la fois terrible mais si plaisante. Elle eut le temps d'entendre des hurlements de rage plus haut avant que son corps ne touche la surface limpide. Elle s'enfonça dans l'eau et retint brièvement sa respiration, rouvrant ses yeux pour remonter.

Sa tête creva la surface et elle aspira grandement de l'air. Son adrénaline retombait et elle ne sentait plus ses pattes douloureuses et tremblantes. Si fatiguée elle se sentait. Mais ça faisait un bien fou, cette eau fraîche et surtout... ils avaient réussi. Ils avaient survécu! La louve eut un large sourire, cherchant du regard Commodor, haletante encore. ❝ Commodor? COMMODOR! ❞ Hurla la louve en agitant ses pattes sous l'eau afin de ne pas couler, cherchant autour d'elle, les oreilles droites. Tenant sa tête haute afin de ne pas recevoir de l'eau dans la truffe ou les yeux à cause des petites vaguelettes.

[Fin, suite au Lac des Castors!]